vendredi 26 août 2016

Droit de copie #1


Quand j'ai créé ce blog il y a 2 ans, puis le second sur les violences scolaires, mes proches m'ont encouragée et soutenue. Mais beaucoup (parfois les mêmes) m'ont aussi mise en garde, voire se sont sérieusement inquiétés.






Ces peurs étaient très liées à Internet, à l'idée d'un espace immense, obscur, peu ou pas réglementé, ainsi qu'à la notion de gratuité qui en fait partie. Y publier ses images et ses productions reviendrait à les jeter par la fenêtre.




Mais la crainte était, au-delà d'Internet et du support blog, une crainte (vraiment forte) du pillage, de l'expropriation et de la copie.


Personnellement, je ne pensais pas d'emblée à ces "risques". J'avais envie et besoin de montrer mon travail, donc de le partager. Mais devant ces alertes, et voyant que tout le monde semblait partager le sentiment du danger et le besoin de s'en protéger, j'ai apposé un copyright en bas de mon blog, avec la mention "tous droits réservés", et j'ai supprimé le clic droit. 


En fait je n'avais pas du tout réfléchi à cette question. Je ne savais pas grand chose du droit d'auteur et du copyright.
 
Mais dès le début je ressentais une forme de malaise. Je savais que supprimer le clic droit n'empêcherait personne de récupérer une image. Et j'avais vaguement entendu que cette mention de copyright ne servait pas à grand chose non plus.



Etait-ce une saine prudence ... ou une forme de paranoïa ?
Et puis, j'ai commencé à recevoir des demandes de personnes qui souhaitaient utiliser mes images. Pour une expo, un travail de recherche, une conférence, un cours... Spontanément, je disais toujours oui. Parce que je ne voyais aucune raison de refuser. Non seulement je trouvais cela flatteur, mais en plus cela m'apparaissait comme une évolution logique et saine de mon travail : à quoi sert-il s'il ne peut être diffusé, partagé, utile aux autres ?

Petit à petit cela m'a fait réfléchir. Des gens venaient me demander mon autorisation simplement pour citer mon blog quelque part (ce qui n'est pas interdit par le droit d'auteur... !). Je ne pouvais pas le leur reprocher : après tout, j'avais apposé une mention "touts droits réservés". Mais l'absurdité de la situation commençait à me parvenir.



Un jour, j'ai reçu une demande d'ordre plus "commercial" : quelqu'un qui souhaitait utiliser mes images pour une campagne de financement d'une épicerie végane.

Spontanément, j'ai hésité. Ne devais-je pas lui demander de l'argent ? 
J'ai exprimé des conditions : je voulais être informée des images qu'il utiliserait, à quel endroit, des textes qu'il allait modifier, etc. Ce qu'il a accepté. 
Mais très vite je me suis demandé pourquoi j'avais posé de telles conditions. Parce qu'en réalité, ça m'était égal.

 
Finalement, il n'a pas utilisé mes images. Mais il m'a permis de réaliser que je n'avais pas de position claire sur la manière dont je voulais partager ou non mon travail, que je ne connaissais rien à la législation, aux licences d'utilisation et à de possibles alternatives.
 
J'ai donc commencé à m'intéresser de plus près à ces questions de copyright, de droit d'auteur, de culture libre et de licences.



Ce qui m'a amenée à réfléchir à me conception de l'art, de la créativité, et même, plus largement, du travail.


Gwenn Seemel explique très bien que le droit d'auteur n'est pas uniquement un système juridique, mais un paradigme :






Nous envisageons l'art, la production de la pensée, comme des productions inaliénables ; nous assimilons la copie à du vol ; nous considérons l'imitation comme un acte malhonnête, une paresse, quelque chose de forcément blâmable.  Il va de soi que nous devons demander l'utilisation à quelqu'unE pour utiliser ses écrits, ses images, sa musique, afin de créer quelque chose avec. Et nous ne remettons quasiment jamais ce paradigme en question. 


Nous avons tous grandi avec l'idée que copier était (très) (très) mal. Et punissable. 




Quand j'étais à la fac, certainEs étudiantEs refusaient de dire quel était leur sujet de mémoire ou de thèse...de peur qu'on leur "pique" leur(s) idée(s). J'étais naïve...et consternée. 




C'était pour moi incompatible avec la conception que j'avais de la recherche et du travail intellectuel.


Bien sûr, ces comportements sont le résultat de la compétition qui structure notre société et une grande partie de nos relations. Toute production est considérée comme strictement individuelle, personnelle, comme si nous étions capables de créer à partir de rien.




Je me suis sentie profondément enthousiaste de découvrir des artistes qui rendent leurs oeuvres publiques, c'est à dire qui en permettent la libre diffusion, la copie, l'utilisation, la modification, des gens qui réfléchissent à ces questions et militent pour une culture différente. 

Comme Nina Paley, par exemple :





J'étais convaincue, au fond, par la pertinence d'une culture sans copyright et je me sentais soulagée à l'idée de franchir le pas, moi aussi. 
Je n'ai jamais ressenti un sentiment fort de propriété vis-à-vis de mes dessins. 
J'ai toujours aimé copier, je m'inspire du travail des autres (comme tout le monde), et je trouve a priori naturel que mes productions puissent circuler, servir à d'autres, être utilisées et même transformées.
L'idée de pouvoir utiliser les oeuvres des autres, comme me dessiner habillée en Gwenn Seemel, est tout aussi enthousiasmante.




Cet élan spontané cohabitait en moi avec la persistance de craintes et de méfiances : 
et si on se faisait de l'argent "sur mon dos" ? Et si je le regrettais ? Ne suis-je pas responsable de tout ce que je produis, et donc de tout ce que deviennent mes productions ? Ne devrais-je pas demander de l'argent pour toute utilisation de ce que j'ai fait ? Est-ce que je ne fais donc rien d'original et de personnel ? Et si cela m'empêchait de gagner de l'argent avec mon travail artistique ? Et comment faire dans une société où le principe du droit d'auteur est la règle ?



J'avais besoin d'en savoir plus sur les aspects juridiques de la question, même si ça me semblait au départ rébarbatif.  


Alors je me suis penchée sur le sujet. Comme dit Gwenn Seemel, personne ne va se brosser les dents à votre place. 

(mais il y a des gens qui fournissent le dentifrice, et ça c'est sympa).


[A suivre]




Gwenn Seemel m'a beaucoup aidée à avancer dans ma réflexion sur le droit d'auteur, la culture libre, la pratique de l'art en général. Ses videos et ses articles ont répondu à beaucoup de mes questions (puisqu'elle s'était posé les mêmes que moi, logiquement). Je vous conseille la lecture de son blog, et de son livre sur le copyright.

Le blog de S.I.lex est aussi une mine d'informations sur le sujet.

16 commentaires:

  1. Très bon article sur ce sujet que j'ai également essayé d'aborder (http://www.pigmentropie.fr/2015/09/ceci-nest-pas-un-droit-dauteur/ ).
    J'ai aussi beaucoup été éclairée par Gwenn Seemel.
    Et j'en suis arrivée à la même conclusion. Mais je 'flotte' aussi dans ce sujet qui reste juridique et pas forcement très simple.

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    1. Merci beaucoup Elize, ravie de découvrir ton beau site. Oui c'est assez complexe comme notion... j'espère réussir à la démêler un petit peu ;)

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  2. Merci! Passionnant!
    Impatient de lire la suite :-)

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  3. Je suis curieuse de voir la suite de votre réflexion et notamment ce qu'elle dit des creative commons http://creativecommons.fr/sbsdsdfgds/

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  4. Superbe, drôle, j'adore ! Impatient de lire la suite aussi !

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    1. Merci beaucoup Dominique ! à bientôt pour le prochain épisode ;)

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  5. J'aime beaucoup ton article, ça m'a fait réfléchir du coup aussi. J'ai hâte de lire la suite et je vais voir un peu le travail de Gwenn Seemel. Merci :)

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    1. Heureuse que ça t'apporte quelque chose :) bonne découverte de Gwenn Seemel, c'est passionnant :)

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  6. Bonjour Julie ...
    Article passionnant ... qui m'a donné envie de découvrir Gwenn Seemel dont tu parles ...

    Alors, j'ai trouvé une vidéo particulièrement intéressante sur Viméo ...
    https://vimeo.com/137298883


    Et puis comme je me suis également posé beaucoup de questions sur le Copyright (ou le Copyleft d'ailleurs) ,mais plus dans le domaine de Documents Éducatifs ... et que je suis "le roi du copier/coller" ... j'ai reproduit le début de ton article sur mon blog ...
    Mais , sincèrement , je ne pense pas faire partie "des gens qui viennent te demander ton autorisation simplement pour citer ton blog quelque part (ce qui n'est pas interdit par le droit d'auteur... !). "


    Voilà ... Moi aussi j'attends la suite avec impatience ...

    Cordi@lement

    alain l.


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  7. Bonjour, je suis venu ici à partir du site Framablog.
    https://framablog.org/2016/09/01/julie-et-le-droit-de-copie/

    Juste pour te dire que j'aime bien ton style graphique.

    Et j'aime aussi quand un artiste se pose des questions sur le droit d'auteur, comme toi. Car le "monde artistique" nous a fait avaler pas mal de couleuvres :

    - surveillance de masse des communications (Hadopi)

    - condamnation si on ne "protège pas parfaitement" sa connexion internet (Hadopi)

    - restriction sur les photos de panorama
    https://www.nextinpact.com/news/99589-les-ayants-droit-unis-contre-exception-panorama-elargie.htm

    - taxe sur toutes les mémoires informatiques au travers la taxe pour copie privée. Avec un fonctionnement pour le moins bizarre
    https://www.nextinpact.com/news/98679-copie-privee-et-projet-loi-creation-on-fait-point.htm

    - Taxation Sacem sur la musique libre
    https://www.nextinpact.com/news/94063-sonorisation-lieux-musiques-libres-soumises-a-remuneration-equitable.htm

    - Et maintenant, taxation des moteurs de recherches mêmes si les images sont libres.
    https://www.nextinpact.com/news/101251-taxe-sur-moteurs-recherche-d-images-ca-se-precise.htm

    En fait, les "ayants droits" sont très forts pour récupérer un maximum de sous... d'abord pour eux et après pour leurs artistes.

    Leur organisation labyrinthique :
    https://www.nextinpact.com/news/99841-quand-commission-controle-decrit-labyrinthe-sprd.htm

    Et la cerise sur le gateau, où l'on comprend que les ayants droits ont beaucoup de choses à cacher :
    https://www.nextinpact.com/archive/56342-sacem-licenciement-transaction-artistes-gestion.htm

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    1. Merci beaucoup pour ces compliments, et tous ces liens ! :)

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  8. Te voilà donc libriste ! C'est un plaisir de te voir approcher ce domaine. Je pense que ça a commencé en 1983 avec le mouvement du logiciel libre :
    https://www.gnu.org/philosophy/philosophy.fr.html
    Voir aussi les articles du Framablog.

    Toutefois, comme le dit Stallman, il y a quand même une différence fondamentale entre des choses purement utilitaires (logiciels) et de l'art (dessins). Concrètement, tu voudras quand même pouvoir utiliser ton droit d'auteur pour éviter le confusionnisme politique (tes dessins utilisés pour appuyer un propos homophobe ou sexiste par exemple).

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    1. Merci de soulever ce point, effectivement, c'est une différence importante. Et merci pour le lien ! :)

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  9. Bonjour Julie... j'arrive très tard dans ces échanges.
    Tout d'abord pour dire que je vous remercie de la pertinence, la finesse, l'honnêteté intellectuelle et la recherche sans cesse prolongée de vos propos illustrés dans vos blogs. Je vais compagnon désormais et venir vous lire régulièrement.
    D'autre part, pour rebondir sur un point de ce sujet : l'éducation qui très tôt maudit le "copiage" (même si les profs de dessin, lorsqu'on sort de l'Education nationale, disent tous qu'ils faut aller voir les grands et les copier, travailler encore et encore les gammes et partir de tout ce qu'on trouve, y compris les oeuvres des autres). Pour avoir été moi-même élève, puis prof, puis avoir quitté et me tourner vers d'autres formes plus directes et personnelles de transmission autour de l'image et par l'image, je considère effectivement que notre système de valeurs pédagogiques et nos propos éducatifs sont très restrictifs, normalisateurs et étroits en la matière. Mais, c'est très culturel... et j'ai eu la chance de vivre 3 ans en Asie, où j'ai appris la peinture coréenne. Là tout est inversé !! On n'apprend qu'en imitant, aucune théorie, et encore moins l'idée de la création individuelle et "neuve". Le maitre n'hésite pas à intervenir sur notre production, au démarrage, en touche finale, et néanmoins il met notre sceau dessus. J'ai vu des gens s'offusquer, soit qu'ils se sentent abaissés par le fait que le maitre ait fait une retouche, soit qu'ils aient un syndrome d'imposture car "seuls" ils n'auraient jamais réussi cela. C'est totalement incompréhensible pour la tradition chinoise et coréenne !! Quant à notre identité d'artiste... elle ne s'auto-forge pas. On ne se choisit pas un nom, on ne garde pas non plus celui de l'état civil. Il nous est attribué par notre maître, une fois la première peinture terminée, inspirée par ce que le maître a senti de notre personnalité dans nos débuts, la saison, son humeur du jour... Autant dire que c'est aussi aléatoire et révélateur en même temps, extérieur et consubstantiel, que la façon dont "nous nous appelons" (ou plutôt les autres nous appellent) à la ville.
    Bien d'autres choses instructives en matière d'art, d'apprentissage, de droits d'auteur, d'imitation lorsque l'on vit en Asie (on ne s'étonne plus que le copiage industriel y soit si prospère alors qu'il traumatise tant les Européens).
    Merci encore à vous !
    Nuage d'Automne

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